Bulletin De L Academie Nationale De Medecine | 2019
Rapport 19-04. L’enfant, l’adolescent, la famille et les écrans : appel à une vigilance raisonnée sur les technologies numériques
Abstract
Resume Les ecrans occupent une place considerable dans la vie de chacun et plus particulierement des enfants. Le numerique a pris une importance croissante et irreversible pour ce qui concerne l’education et la culture et, de facon plus generale, la vie de notre societe. D’immenses interets economiques et commerciaux sont en jeu. Il est neanmoins apparu, au fil des annees, que cette evolution avait aussi des effets deleteres qui suscitent une grande inquietude, si bien que le developpement rapide de la presence des ecrans dans nos vies et celle de nos enfants amene chacun a s’interroger autant sur les usages qu’il en fait que sur le temps qu’il y passe. C’est pourquoi les trois academies (Academie nationale de medecine, Academie des sciences, Academie des technologies) ont souhaite faire un point sur ces questions, sous la forme d’un «\xa0appel\xa0» et non d’un «\xa0rapport\xa0», de structure classique. Une des principales questions qui se posent est de savoir si l’utilisation excessive des ecrans peut engendrer une veritable addiction comportementale. Cette notion doit etre abordee avec precaution car elle repond a une definition medicale precise, reservee a des pathologies particulierement lourdes. En outre, ces addictions comportementales caracterisees sont souvent associees a des troubles psychiatriques comorbides tels que depression, anxiete, phobies ou troubles de la personnalite. L’apprehension de cette question est compliquee chez l’enfant et l’adolescent en raison de la diversite des contextes psychologiques et des situations individuelles. On sous-estime generalement le role des vulnerabilites sociales, qui interferent de facon majeure dans le rapport aux ecrans. En effet, tous les enfants et adolescents ne sont pas places dans des contextes familiaux, culturels et sociaux equivalents et les consequences du mauvais usage des ecrans apparaissent d’autant plus serieuses que l’enfant est en situation de vulnerabilite\xa0: l’absence ou l’insecurite de l’emploi, les difficultes materielles de la famille, une trop grande distance aux services educatifs, sociaux ou medicaux, un contexte culturel appauvri, sont autant de facteurs qui peuvent rendre difficile, voire inaccessible, la comprehension du numerique, l’education aux usages des ecrans, la distance critique et l’indispensable autoregulation. On observe chez certains jeunes enfants (âges de moins de 3\xa0ans) une surexposition importante aux ecrans, veritable mesusage en termes de temps consacre. D’un usage recreatif a un usage utilitaire, on passe a un usage a visee exclusivement «\xa0calmante\xa0», propose puis maintenu par les parents. Fascine par les bruits et les lumieres vives, totalement passif, le tres jeune enfant peut apparaitre comme deja victime d’un trouble comportemental\xa0: surexposition chez l’enfant «\xa0scotche\xa0» a l’ecran et reactions de colere lors du retrait. La question est posee du retentissement de ce comportement sur le developpement psychomoteur et relationnel du jeune enfant, ainsi que sur ses capacites d’apprentissage. Independamment de la reponse a cette question tres preoccupante, il est difficile de departager ce que serait, d’une part, la possible nocivite intrinseque des ecrans pour les jeunes enfants, et, d’autre part, des pratiques parentales inadaptees dont la gestion des ecrans ne serait qu’un aspect parmi d’autres. L’objectif n’est pas uniquement de limiter l’acces aux ecrans, sauf, dans une large mesure, chez les plus jeunes enfants, mais de toujours en accompagner une utilisation raisonnable et raisonnee. Chez l’enfant plus âge, et plus particulierement chez l’adolescent, le probleme est tout autant celui du contenu que celui de la quantite. En particulier, la facilite d’acces a des scenes violentes ou pornographiques constitue un danger. Les reseaux sociaux permettent un elargissement des possibilites de communication et un soutien contre la solitude. A ce titre ils peuvent etre consideres comme positifs. En meme temps, ils sont une source d’inquietude chez l’adolescent, notamment en raison des risques de desinhibition de la communication et de harcelement facilites par la possibilite de l’anonymat. Cela est aggrave par les strategies des reseaux, visant a retenir l’attention des utilisateurs et a en obtenir toujours plus d’informations susceptibles d’alimenter des bases de donnees. Les jeux video representent un autre motif d’inquietude, largement mediatise. On peut se poser la question de la violence vehiculee par certains d’entre eux, mais aussi de l’absence de frontiere absolue entre les jeux de casino et certains jeux video, d’autant plus que certains editeurs, utilisant les services de psychologues et de specialistes des neurosciences, introduisent des procedes issus des jeux de hasard et d’argent. Cependant, si, dans des cas extremes, le basculement dans l’addiction aux jeux video peut se produire sous l’effet conjoint de facteurs de vulnerabilite personnelle ou sociale et du caractere particulierement addictogene de certains jeux, il convient de garder a l’esprit que la tres grande majorite des joueurs trouve dans cette distraction une source de satisfactions positives et d’amelioration de certaines performances. Sur le plan strictement medical, les effets negatifs d’une mauvaise utilisation des ecrans concernent tous les âges, mais sont evidemment plus deleteres pour l’enfant et l’adolescent. Ces problemes sont principalement lies aux consequences de l’utilisation vesperale ou nocturne des ecrans, dont la lumiere, en particulier la composante bleue, accroit la vigilance en inhibant la secretion de melatonine, hormone cle de l’endormissement. Les troubles du sommeil qui en resultent peuvent entrainer une fatigue, des troubles de l’attention et affecter les resultats scolaires et la vie sociale. Ici encore, le role des parents est capital. D’autre part, l’eventuelle toxicite pour la retine de la lumiere diffusee par les ecrans doit etre prise en consideration. Elle fait l’objet d’etudes importantes qui n’apportent pour l’instant pas de conclusion significative. Tous les risques qui viennent d’etre evoques ne doivent pas occulter le fait que, bien utilises, les ecrans, et l’information dont ils permettent l’echange, constituent des outils de connaissance et d’ouverture sur le monde dont l’interet est incontestable. Il faut rappeler avec force que le role des parents, aussi bien en tant que modele d’imitation que comme autorite educatrice, reste absolument capital pour le bon usage des ecrans et la construction de l’enfant. Vis-a-vis des adolescents, il faut egalement rappeler le role des enseignants pour un bon usage et pour l’education au discernement sur l’information recue. C’est pourquoi les campagnes alarmistes axees sans distinctions sur les «\xa0dangers des ecrans\xa0» ne risquent pas seulement de faire ignorer aux parents et aux educateurs les avantages potentiels des technologies numeriques, largement argumentes a ce jour. Elles risquent aussi de faire oublier les veritables determinants de la sante mentale et l’importance des problemes sociaux. La fracture entre ceux qui sont prepares a beneficier des apports du numerique et ceux pour lesquels celui-ci peut aggraver des difficultes preexistantes constitue aujourd’hui un probleme de justice sociale autant que de sante publique. La convergence numerique a d’ores et deja rapproche le cinema, la radio, la television et la telephonie en leur imposant un support technologique commun. Tres bientot, de nouvelles formes d’interactions s’y associeront, utilisant l’intelligence artificielle sous des formes multiples et encore imprevisibles. Une attitude de vigilance positive devra rester de mise face a ces evolutions.