Annales. Histoire, Sciences Sociales | 2019

Jean Donnadieu Jacques de Vitry (1175/1180-1240). Entre l’Orient et l’Occident: l’évêque aux trois visages Turnhout, Brepols, 2014, 283 p.

 

Abstract


C’est un portrait impressionniste de Jacques de Vitry que livre Jean Donnadieu, soucieux de retracer le parcours de l’évêque jusque dans ses moindres détails, y compris là où les sources font défaut. L’auteur donne le la dès le premier chapitre de l’ouvrage, où il entend traquer la personne de Jacques de Vitry avant même qu’il « n’apparaisse dans les actes ou les chroniques, et ses propres textes » (p. 48). Après ce moment consacré à l’enfance, Donnadieu ordonne le portrait de Jacques en quatre temps qui correspondent aux quatre lieux jalonnant sa carrière : Paris, Oignies, Acre et Rome. Les contraintes inhérentes à l’exercice du compte rendu nous ont conduit à privilégier ici deux aspects : le premier, les aspirations spirituelles de Jacques de Vitry, court sur l’ensemble des huit chapitres ; le second, l’épiscopat de Jacques à Acre, se concentre sur trois d’entre eux. Il est certes délicat depasser outre les discours codifiés, a fortiori les sermons, pour tenter de débusquer l’homme qui se cacherait derrière eux. L’entreprise est hasardeuse, les conclusions souvent hâtives : Donnadieu déduit, par exemple, l’absence de famille d’un testament en faveur du prieuré d’Oignies, ou encore l’affection de l’évêque pour les Français d’une métaphore canine. Plus convaincante, l’insistance de l’auteur sur l’empathie de Jacques pour les plus modestes semble cependant moins révélatrice d’une hypothétique origine sociale de l’évêque que de l’attention accrue d’une partie des clercs, en premier lieu les prédicateurs, pour les pauperes au tournant des XIIe et XIIIe siècles. Il en va de même de sa condamnation de l’usure ou de sa dénonciation, toute topique, des désordres de la ville. Les aspirations réformatrices et spirituelles de Jacques paraissent en effet sous-tendre son parcours tel que le retrace ici Donnadieu. À Paris, l’auteur relève l’attention de Jacques pour Foulques de Neuilly (m. 1201), dont la figure est attachée à celle de Pierre le Chantre (m. 1197) et dont laprédication s’inscrit dansunemoraleévangélique. Le départ de Jacques pour le prieuré d’Oignies s’inscrit dans la même perspective, prieurédont la fondationpremière, en1187, obéit à une logique érémitique avant que soit adoptée officiellement la règle des chanoines réguliers de saint Augustin en 1192 et afin d’œuvrer, pour reprendre les termes de Jacques, « à l’observance de la sainte règle et à la réforme de la vie régulière » (Historia occidentalis, cité p. 124). C’est à Oignies qu’il fait la rencontre de Marie, dont il compose une Vie. En Orient, de semblables aspirations réformatrices innervent la sévère critique des Poulains, ces descendants des premiers croisés installés outre-mer, dont l’évêque d’Acre vilipende la duplicité : ils travestissent leur intériorité dépravée sous des dehors séduisants. À la dissimulation, ils ajoutent la cupidité : leur quête des biens matériels, de la jouissance charnelle s’oppose à la foi et à l’humilité des pèlerins ou des croisés de la cinquième croisade, seuls dignes de la Terre sainte que foulent leurs pieds. Cependant, il faut y voirmoinsune influencedumouvement franciscain naissant que l’expression d’une communauté spirituelle dans laquelle se reconnaissent nombre de clercs et de laïcs au tournant des XIIe et XIIIe siècles.Dans le sillage des travaux de Robert Burchard Constantijn Huygens et de John Tolan 1, Donnadieu nuance ainsi, au gré des chapitres, l’importance de l’influence franciscainedans le parcours de Jacques.À l’été1216, en route pour Acre, celui-ci s’arrête à Pérouse où réside la cour pontificale : après avoir appris la mort d’Innocent III et rencontré le nouveau pontife, Honorius III, Jacques y constate l’influence de François d’Assise sur l’entourage du pape. Vers 1225, alors évêque d’Acre, il loue « ces formes de vie religieuse » grâce auxquelles « le Seigneur a illuminé ces pays afin qu’[elles] fussent des villes de refuge et des tours de vaillance face à l’ennemi » (Historia occidentalis, cité p. 140). En revanche, dans une lettre de1220, il exprime saméfiance au sujet de l’ordre des frères mineurs, de leur mode de vie gyrovague et de leur expansionnisme : « [cette religion] nous paraît néanmoins très dangereuse, carnonseulement lesparfaits,mais aussi les frères jeunes et imparfaits, qui devraient être soumis quelques temps à l’épreuve de la discipline monastique, se répandent deux par deux dans le monde entier » (Lettres, cité p. 154). Il en parle d’autant plus aisément qu’il les a vus arriver en C O M P T E S R E N D U S

Volume 74
Pages 194 - 195
DOI 10.1017/ahss.2019.173
Language English
Journal Annales. Histoire, Sciences Sociales

Full Text