Annales. Histoire, Sciences Sociales | 2019

Sonja Luehrmann Religion in Secular Archives: Soviet Atheism and Historical Knowledge New York, Oxford University Press, 2015, xii-256 p.

 

Abstract


Sonja Luehrmann, décédée en août 2019 après une longue bataille contre le cancer, était professeure d’anthropologie à l’université Simon Fraser (Vancouver, Canada). Spécialiste reconnue du monde russe, elle a travaillé en particulier dans la région multiethnique et pluriconfessionnelle de la Volga, où le christianisme orthodoxe côtoie l’islam et les religions autochtones. Son troisième ouvrage en tant qu’autrice principale se lit dans la continuité de sa monographie précédente consacrée à l’enseignement de l’athéisme et de la religion dans l’URSS et la Russie postsoviétique . Cette fois, les rapports intriqués de la religion et du sécularisme sont abordés essentiellement dans une perspective d’anthropologie historique à partir d’archives soviétiques de l’après-guerre (1950-1980) 2. L’ouvrage naît d’une ambition euristique exigeante : comprendre la religion à partir de documents produits par un État qui cherchait à l’éradiquer. Le cœur des matériaux est constitué d’archives étatiques de la Fédération de Russie, des républiques du Tatarstan et des Maris. Les documents officiels sont mis en dialogue avec les témoignages oraux, les travaux scientifiques et les publications officieuses et dissidentes, ces dernières provenant du fonds duKeston Institute situé aujourd’hui à l’université Baylor (Waco, Texas).Lapolyphoniedeces sourcesvariéesdessine les contours d’une société où les religions subsistaient et évoluaient sous l’œil vigilant des autorités. Cette publication est avant tout une contributionmajeure à laméthodologie de la recherche d’archive, d’où son importance au-delà des problématiques religieuses et du monde russe. Chaque archive bénéficie d’une description dense, Luehrmann la situant dans le contexte de saproduction, de sa circulationet de sesusages passés et contemporains. Par exemple, l’ordre de transfert d’un livre sacré d’unemosquée vers une bibliothèque publique témoigne de la pression exercée sur les croyants et révèle le rôle de communautés religieuses dans la transmission de savoirs. Or dans la Russie postsoviétique, le même document peut faire l’objet d’une demande de restitution de bien de l’État vers une communauté religieuse. Cette lecture nous rappelle la pluralité sémantique et pragmatique des documents d’archive et l’évolution de leur valeur au fil du temps.L’inscriptiondudocument dans les relations de pouvoir impose aussi la prudence vis-à-vis de son contenu informatif. Comme le rappelle Luehrmann, les données statistiques sur la pratique religieuse en URSS sont peu fiables, car elles peuvent êtremagnifiées par les fonctionnaires pour justifier la raisond’être de leur travail,mais aussi diminuées pourmontrer les succès de la propagande de l’athéisme. Dans le sillage de l’archival turn, Luehrmann adopte une approche critique envers les archives, interroge leur organisation et leur fonctionnement. L’archive en tant qu’assemblage matériel oriente la lecture que nous faisons de ses éléments. Si les archives d’État résultent des aléas du dépôt de documents et de leur conservation, les « contre-archives » sur la dissidence religieuse produisent d’autres biais. C’est le cas du fonds du Keston Institute, rassemblé à partir des années 1960 par le prêtre anglican Michael Bourdeaux pour documenter les persécutions contre les croyants soviétiques et composé d’articles de presse, de certains documents officiels et de publications samizdat (littéralement « qu’on publie soi-même », sans recours aux canaux de publication officiels). Contrairement aux archives d’État, organisées selon le principe de provenance, le Keston Institute utilisait l’organisation thématique des documents, à la fois pour faciliter leur usage et pour des raisons de protection des passeurs. Cette organisation particulière est source d’« instabilité épistémologique » (p. 159) car elle obscurcit le contexte de la production des documents et de leur circulation à travers le rideau de fer. En revanche, le Keston Institute rend disponible l’information sur ses usagers. L’étude sur les usages passés et contemporains des documents dissidents révèle les engagements de cette institution favorable aux croyants, qui tentait non seulement de combler les lacunes des archives d’État, mais aussi de donner aux Occidentaux un exemple A R C H I V E S , S O U R C E S , D O C U M E N T S

Volume 74
Pages 903 - 905
DOI 10.1017/ahss.2020.105
Language English
Journal Annales. Histoire, Sciences Sociales

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