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La Limnée étroite est-elle capable de s’adapter à de nouvelles stations sur sol acide lorsque de faibles effectifs sont utilisés ?
Abstract
Samples of 5, 10 or 20 adult Omphiscola glabra were introduced into 12 road or way ditches on acid soil to study the colonization of these new sites by the snail. Surveys were conducted over the following six years to determine the area these O. glabra colonized in these new stations and to count the number of overwintering snails in April or May. New populations developed in the 12 ditches. Colonization of each water collection was faster when the sample of introduced snails included 20 adults. The overall number of offspring counted in April or May peaked in the second year post-introduction before gradually decreasing to a mean of 32.3-33.5 snails in the sixth year. Omphiscola glabra is therefore able to colonize new areas on acid soil so long as there is a temporary source. Key-Words: acid soil, colonization, habitat, Lymnaeidae, Omphiscola glabra, transplantation Annales Scientifiques du Limousin, 2019, 28, 2-11 DOI : 10.25965/asl.1035 3 0765-0477 Introduction La Limnée étroite, connue également sous le nom scientifique d’Omphiscola glabra (O.F. Müller, 1774) ou encore de Lymnaea glabra, est un gastéropode pulmoné qui vit dans les eaux douces. A l’inverse des autres espèces de limnées, O. glabra n’a qu’une distribution géographique limitée dans l’Europe de l’Ouest, depuis le sud de la Scandinavie jusqu’au sud de l’Espagne (Hubendick, 1951). Un certain nombre d’auteurs ont constaté que cette limnée présente un déclin actuel dans le nombre et la taille de ses populations (voir les synthèses de Prié et al., 2011 et de Welter-Schultes, 2012, 2013). Les raisons invoquées sont liées au monde agricole. La réalisation de drainages souterrains dans les prairies, où pâture le bétail domestique, et la pratique d’une agriculture intensive ont entraîné la disparition de nombreuses colonies (Kerney, 1999 ; Glöer et Diercking, 2010). D’après Prié et al. (2011), la diminution moyenne dans le nombre de ces populations se situerait dans une fourchette allant de 20 à 25 % au cours des quinze dernières années. Mais ces chiffres varient selon les pays. Au RoyaumeUni, par exemple, cette réduction numérique serait comprise entre 25 et 49 % selon le pays constitutif (Ecosse, Pays de Galles, ...) et le district étudié (Maclean, 2010 ; Prié et al., 2011). Cette situation a conduit les autorités scientifiques de plusieurs pays à prendre des mesures pour assurer la sauvegarde de cette espèce. Omphiscola glabra a ainsi été inscrit sur les Listes rouges des espèces menacées comme un taxon en danger critique d extinction en Irlande, une espèce en danger en Allemagne, et un mollusque vulnérable aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Suède (Byrne et al., 2009 ; Prié et al., 2011 ; WelterSchultes, 2012, 2013). La Limnée étroite a, de plus, été inscrite par Wells et Chatfield (1992) sur la liste européenne des espèces à protéger. Une action pour la sauvegarde de cette limnée a, d’ailleurs, été mise en place en Ecosse depuis les années 2000 (Macadam et Baker, 2005 ; Macadam, 2006 ; Baker, 2013). Parmi les objectifs que le « mud snail group » a définis, figurent l’inventaire des populations existant à l’heure actuelle sur le territoire écossais, l’élevage de mollusques captifs selon les principes de l’aquariophilie et la transplantation d’échantillons de mollusques à partir de leurs habitats naturels pour coloniser de nouveaux sites. Les chercheurs de ce groupe d’études cherchent à définir les facteurs biotiques ou environnementaux qui assurent le meilleur développement pour une population d’O. glabra dans son habitat. Sur les sols acides du Limousin, O. glabra vit préférentiellement sur le réseau de drainage superficiel de nombreuses prairies marécageuses (Vareille-Morel et al., 2007). Sur les 2150 populations que Dreyfuss et al. (2018a) ont recensées dans le département de la Haute-Vienne depuis 1970. 77 % ont été observées dans les prairies marécageuses et 13,8 % dans les fossés de route qui les entourent. Cette limnée se rencontre avec Galba truncatula (O.F. Müller, 1774) sur les mêmes réseaux de drainage superficiel, mais les deux limnées occupent des habitats différents. Ceux d’O. glabra se situent sur le cours moyen des rigoles de drainage superficiel, tandis que G. truncatula colonise souvent l’extrémité amont de ces mêmes rigoles (Vareille-Morel et al., 1999 ; Dreyfuss et al., 2015 ; Vignoles et al., 2017, 2018). Le déclin dans le nombre des populations a été également constaté dans le Limousin et les départements limitrophes depuis les années 2000. Sur les prairies de 162 fermes sur sols acides, ce déclin est de 23,4 % en 2013-2016 par rapport au nombre de populations décomptées entre 1976 et 1992 (Dreyfuss et al., 2016). De même, sur les terrains sédimentaires de trois départements bordant le Limousin, Dreyfuss et al. (2018b) ont rapporté une chute de 38 % en 2016-2017 dans les pâtures de 52 fermes par rapport aux valeurs relevées avant 1998. Cette diminution actuelle dans le nombre des populations serait principalement due à l’activité humaine dans ces fermes. Devant le déclin dans le nombre des populations que les études de Dreyfuss et al. (2016, 2018b) ont montré, il était utile de déterminer si l’espèce pouvait coloniser de nouveaux habitats. Ce type d’étude a été Annales Scientifiques du Limousin, 2019, 28, 2-11 DOI : 10.25965/asl.1035 4 0765-0477 réalisé en analysant les résultats fournis par des transplantations d’O. glabra depuis leur habitat originel dans de nouvelles zones et sur leur suivi au cours des années qui suivent. Des introductions d’O. glabra dans de nouvelles stations ont déjà été réalisées par notre équipe au cours de deux expériences entre 1996 et 2005 sur sol acide et entre 2003 et 2009 sur sols acide et sédimentaire (Dreyfuss et al., 2010 ; Vignoles et al., 2017, 2018). Des échantillons de 100 limnées adultes ont été placés dans des rigoles de drainage superficiel ou des fossés de route en tenant compte des exigences du mollusque (nécessité d’une végétation assez dense dans chaque station, présence d’une source temporaire ou permanente) et les populations en résultant ont été suivies sur une période de neuf et de sept années, respectivement, pour analyser les variations d’effectif. Dans les deux cas, les populations se sont accrues de 1,2 à 2,7 fois en moyenne au cours de la deuxième ou de la troisième année postintroduction avant de diminuer en nombre par la suite (Vignoles et al., 2017, 2018). Devant ces premiers résultats, la question s’est posée de savoir si la colonisation de nouveaux habitats potentiels pouvait être réalisée avec succès en utilisant un nombre plus faible d’O. glabra (5, 10 ou 20 adultes par contingent). Une expérimentation de six années a donc été réalisée en introduisant des mollusques dans 12 fossés de route ou de chemin situés dans le nord de la Haute-Vienne. Toutes ces stations comportaient une source temporaire s’écoulant de la mi-novembre au mois de juin suivant. Le nombre de limnées adultes provenant de l’année précédente (mollusques transhivernants) et la superficie colonisée par la population dans ces nouveaux habitats ont été suivis pendant six années en avril ou en mai selon l’altitude de ces habitats. Matériel et méthodes Stations d’étude L’expérimentation a porté sur 12 fossés de route ou de chemin. Ces derniers étaient vierges de limnées au début de l’expérience. Le tableau 1 fournit leurs principales caractéristiques. Ils ont été choisis pour les raisons suivantes : i) aucun mollusque prédateur : Zonitoides nitidus (O.F. Müller, 1774) n’a été observé dans ces fossés au cours de l’année précédant l’expérience alors que cette espèce est particulièrement abondante dans les prairies marécageuses et effectue une prédation active sur les limnées présentes en juin ou au début de juillet (Rondelaud et al., 2006) ; ii) ces fossés se situent à une altitude comprise entre 200 et 400 m dans le nord de la Haute-Vienne car les populations d’O. glabra diminuent en nombre, puis disparaissent lorsque l’altitude s’élève (Dreyfuss et al., 2018a) ; iii) chaque fossé est alimenté par une source temporaire (ces sources sont fréquentes sur les sols acides) ; iv) la végétation présente dans les collections d’eau est abondante et est composée de joncs, de carex et d’espèces appartenant à la famille des Poaceae (principalement Agrostis stolonifera Linnaeus, 1753). Ces fossés sont situés sur les communes de Berneuil, Blond, Breuilaufa, Saint-Ouen-sur-Gartempe et Saint-Junien-les-Combes. Le sédiment de fond y est composé de sable et de gravier, soutenu par du granite. Le pH de l eau y varie de 6,1 à 7 et le taux de calcium dissous dans l eau courante est compris entre 15 et 19 mg/L (Guy et al., 1996). Ils sont recouverts par de l’eau depuis la mi-novembre jusqu’à la fin juillet et sont donc en dessèchement pendant 3,5 à 4 mois. La largeur de la zone couverte par l eau entre décembre et la fin mai varie de 5 à 30 cm selon les précipitations atmosphériques, tandis que la profondeur de la couche d eau varie de 1 à 25 cm. Tous ces fossés sont soumis à un climat continental fortement modulé par les vents humides qui viennent de l’Océan Atlantique. Selon les années, la pluviométrie annuelle moyenne se distribue entre 800 et 1000 mm, tandis que la température annuelle moyenne varie de 10,5° à 11,5° C selon l’altitude des stations (Rondelaud et al., 2011 ; Vignoles et al., 2017). Protocole expérimental La population d’O. glabra à l’origine des mollusques transplantés vit dans une prairie marécageuse située sur la commune de Annales Scientifiques du Limousin, 2019, 28, 2-11 DOI : 10.25965/asl.1035 5 0765-0477 Mézières-sur-Issoire, département de la Haute-Vienne. Un total de 140 limnées hautes de 12 mm ou plus, appartenant à la génération transhivernante, a été récolté entre 2011 et 2013, et celles-ci ont été réintroduites à la fin mars dans l’une ou l’autre des 12 nouvelles stations. Cette gamme de tailles a été choisie car les mollusques sont alors adultes et peuvent donc déposer des pontes après leur intro