Archive | 2019
Psychiatrie et délire mystique
Abstract
Le tic tac de l’horloge résonne dans la pièce de travail. Devant mon ordinateur, je puise dans mes réserves de souvenirs pour écrire un article destiné à un lectorat spécialisé en santé mentale. Il paraît en effet que je suis malade, survivante de plusieurs décompensations psychotiques à caractère mystique. Je ne parvenais plus à interpréter la réalité de façon «normale», j’étais prise dans un délire mystique où le sens de ma vie se résumait à une mission messianique. J’ai appris avec le temps à élaborer mon histoire de vie selon le point de vue de la personne qui me fait face. Face à des psychiatres, j’utilise leurs propres références et concepts, je me moule dans leur façon de penser, j’abonde allégrement dans leur sens. Pour le dire simplement: je veux la paix. Je n’ai aucun intérêt à divulguer ce que je ressens du fond de mon âme. J’ai essayé maintes fois, mais c’est un dialogue de sourds. Il suffit que je pose le mot «Dieu» et le soignant change de visage, exprime un malaise, un doute, cherche à évaluer le risque concret de ce mot qui sort soudain de ma bouche. La spiritualité est niée, elle est vue comme dangereuse, propice au délire et à la décompensation. Même si le psychiatre apparaît comme neutre et bienveillant, nous les malades, sommes profondément en lien avec notre ressenti. Nous sentons lorsque notre discours ne plaît pas, lorsque notre identité est remise en cause, lorsque l’autre se pose en juge de ce qu’il faut penser ou non de la réalité. Alors souvent, nous nous taisons. Nous laissons la raison médicale avoir le pouvoir sur nous, parler en nos noms, nous définir, nous comprendre et nous expliquer. Ma spiritualité est une blessure intime que je ne dévoile pas à n’importe qui. Question de pudeur et de respect. Poutant j’ose l’écrire dans ce présent article, car mon public est anonyme et silencieux. Le milieu de la psychiatrie est une bataille cachée, le lieu où la raison se heurte à ce qui tient de la folie. L’envers du décor quant à la valorisation de ce qui est vu dans la norme: un individu qui a des croyances logiques conformes à ce que la société attend de lui. Si tu te comportes comme tel, si tu te soumets bien gentiment, alors nous te laisserons sortir de cet hôpital. Nous ôterons le placement à des fins d’assistance qui te contraint à l’isolement. Mais il faut, pour cela, que ta parole se dilue, qu’elle cesse de se heurter à notre façon de penser, notre vérité. Notre façon de penser est la suivante: Il n’existe pas de force transcendante à la nature humaine. Il n’y a personne qui puisse prétendre être envoyé par Dieu, ni être guidé par des esprits. Il n’y a pas de mission divine. Pas de forces invisibles. Ce ne sont que des croyances subjectives sans fondements scientifiques. La preuve, c’est que les délires mystiques ont un impact négatif sur la personne. Elle perd ses relations sociales, elle ne travaille plus, elle s’isole, elle est angoissée et toute sa structure mentale est bouleversée. La souffrance: C’est la preuve d’une santé mentale défaillante. La véritable expérience mystique se doit d’être positive, se charger d’une expansion de la conscience et donner un sens à la vie de la personne. Se croire être «choisi» ou «élu», n’est que le symptôme d’une crise maniaque. Un délire de grandeur qui va être automatiquement suivi par une phase de dépression lorsque la personne retourne à la réalité ordinaire. Ce sont ces épisodes que nous allons prévenir afin d’éviter les rechutes. Car pour nous, vous êtes atteint d’une maladie qui a une répercussion sur le fonctionnement du cerveau. Ce n’est pas de votre faute. C’est exactement comme le cancer ou toute autre maladie biologique, même si les effets de causalité sont plus difficiles à cerner. Et moi qui suis-je? Qu’est-ce que je pense ? J’ai le sentiment qu’il faut que je pense comme les autres pour être acceptée. Je joue souvent double-jeu. Je suis le renard qui se camoufle. Un simple miroir qui reflète la perception d’autrui. On plaque sur moi toutes les interprétations imaginables et possibles. Mon histoire résonne selon la vision du monde de l’autre. S’il possède un affect négatif par rapport aux concepts issus de la religion, il ressentira du rejet et de l’incrédulité. S’il est ouvert à des expériences non-ordinaires de la conscience, il pourra peut-être pénétrer dans le tunnel et «voir» une certaine lumière. Tout est question d’imaginaire. Notre monde est construit selon un imaginaire collectif et social extrêmement codifié où le mythe est réduit à un individu qui doit s’insérer dans le système sous peine de se voir exclu et marginalisé. J’ai fui et peutêtre, ai-je créé mon propre mythe.