Jean-Frédéric Schaub

Une histoire culturelle comme histoire politique (note critique)

Depuis plus d’une vingtaine d’annèes, nombre d’historiens intègrent à leur travail la dimension discursive du monde social, dèrivèe à la fois du caractère discursif des moyens d’accès à celui-ci et de l’emprise des schèmes cognitifs et expressifs du rècit sur l’ècriture de l’histoire. Aussitôt s’est posèe la question de savoir si cette reconnaissance laisserait les historiens sans armes face aux offensives de tous les rèvisionnismes, et si elle les conduirait à une capitulation sceptique. Le « tournant critique », dont le diagnostic fut naguère proposè, se prèsentait comme une anticipation sur les effets relativistes d’un « tournant linguistique » dont le succès semblait manifeste. La prise de position sur le tournant critique invitait les chercheurs à fabriquer des instruments de vèrification adaptès à la prise en compte du primat de la discursivitè sur les phènomènes rèvèlès par elle, sans laisser libre cours à l’arbitraire. Il n’ètait cependant pas question d’instaurer un discours sur la vèritè des èvènements et de leur interprètation, ce que, pourtant, les magistrats semblent attendre des historiens placès en position d’experts.

Rita Costa Gomes et Gérard Sabatier (dir.), Lugares do poder, Europe séculos XV a XX, Lisbonne, Fundação Callouste Gulbenkian, 1998, 441 p.

Vient ensuite l’é tude de la formation de la Hanse. La ville médiévale impose aussi sa singularité dans l’Empire, mais aucune liaison ne s’opère avec les princes qui ont des prétentions universalistes et se privent ainsi de hiérarchies intérieures claires et de frontières nettes. Les villes créent donc des liens entre elles pour protéger l’économie à longue distance. La Hanse constituait ainsi une unité politique qui avait des envoyés, faisait la guerre et signait des traités, et elle suggère une logique bien différente, « alternative », face à celle de l’É tat souverain. En Italie, des villes devinrent très puissantes, plus importantes que celles de France ou d’Allemagne, hormis Paris, surtout grâce au commerce des produits de luxe, mais nul État ne s’ imposa ni ne prévalut, et aucune ligue solide ne se constitua. C’est dans la cité même que l’É tat se structura, autour de la seigneurie qui était une oligarchie. Il restait à montrer pourquoi, à la fin, l’É tat souverain a triomphé. Dans une première approche, on peut constater que la cité-État était divisée en elle-même et que la ligue de cités n’avait pas de définition territoriale claire. L’auteur revient sur la sélection darwinienne par la guerre qui reste l’explication commune, mais cela ne tient pas forcément si l’on considère les succès militaires et les ressources financières de la Hanse ou des cités d’Italie. L’auteur analyse les facteurs de faiblesse de la Hanse — les velléités d’indépendance des villes dont les intérêts divergeaient de ceux de la ligue qui vit finalement contester son existence. Au contraire, le modèle de l’É tat souverain s’ imposa même pour de petites unités politiques et triompha lors des traités de 1648 à travers le ius territoriale. Pour les cités-États, ce furent les tensions internes qui fragilisèrent leur affirmation territoriale, mais par imitation (« mimicry ») elles se transformèrent à leur tour en États souverains. Tout se passerait comme si le système international conduisait à sélectionner les modèles institutionnels les plus efficaces — avec une