aa r X i v : . [ m a t h . HO ] A ug MESSIAEN ET LES MATH´EMATIQUES
ATHANASE PAPADOPOULOS
R´esum´e.
Nous passons en revue l’utilisation de certaines notions math´ema-tique dans les compositions d’Olivier Messiaen et dans son travail th´eoriqueLa version finale de cet article a paru dans l’ouvrage
Twentieth-CenturyMusic and Mathematics , R. Illiano (ed.), Brepols, Turnhout, 2019.
Abstract. We review some of Olivier Messiaen’s use of mathematics inhis composition and his theoretical writings.The final version of this paper appeared in the book
Twentieth-CenturyMusic and Mathematics , R. Illiano (ed.), Brepols, Turnhout, 2019.Mots cl´es : mathematiques et musique, rythme, modes `a transposi-tions limit´ees, rythme non r´etrogradable, contrepoint, permutations sy-m´etrique, Olivier Messiaen,Classification AMS : 00A65 (Mathematics and music) Introduction
Olivier Messiaen a marqu´e le vingti`eme si`ecle par un langage rythmiqueet modal original et unique, qu’il a transmis `a travers ses compositions,ses ´ecrits et ses cours au Conservatoire de Paris. Son œuvre, hautementnovatrice, est en mˆeme temps ancr´ee dans des traditions tr`es anciennes, toutparticuli`erement celles de la musique de l’antiquit´e grecque, du plein-chantm´edi´eval et de la musique hindoue.Notre sujet principal dans cet article concerne les math´ematiques dansl’œuvre de Messiaen, et il est peut-ˆetre utile de rappeler ici qu’en math´ema-tiques, la d´ecouverte est toujours ancr´ee dans une longue tradition, souventbi-mill´enaire. Il n’est donc pas ´etonnant que cela soit aussi le cas en musique,un domaine partageant avec les math´ematiques une histoire et un mode depens´ee communes, et cela d’autant plus pour la musique de Messiaen, qui aun caract`ere math´ematique prononc´e.Messiaen est n´e en 1908, c’est-`a-dire huit ann´ees apr`es le d´ebut du derniersi`ecle, et il est mort en 1992, huit ann´ees avant sa fin ; le quadruplet 1900,1908, 1992, 2000 donne lieu au rythme (8, 84, 8) qui poss`ede une sym´etrie quien fait (ce que Messiaen appelle) un rythme non r´etrogradable, une notiondont on parlera plus bas.Sans pr´etendre rendre compte tant soit peu de l’importance de l’œuvregigantesque de Messiaen, je me suis limit´e sans cet article `a certains as-pects math´ematiques de cette œuvre. Ils sont tous bas´es sur des notions´el´ementaires : nombres premiers, permutations et autres sym´etries s’expri-mant naturellement en termes de th´eorie de groupes (mˆeme si l’on ne sait pas si Messiaen a explicitement utilis´e ce vocabulaire, synonyme de sym´e-trie). Ces notions, bien que tr`es simples, sont au cœur des math´ematiques –les math´ematiciens professionnels ont horreur de la complication – et ellesont l’avantage d’ˆetre intemporelles, c’est-`a-dire en dehors des goˆuts du jour.Il ne s’agit, par exemple, ni de musique fractale, ni de musique quantique,ni de musique al´eatoire. Mˆeme si Messiaen ne s’est jamais consid´er´e commeun math´ematicien – et, `a ce propos, il est l´egitime de se poser la question :qu’est-ce qu’un math´ematicien ? – il a utilis´e dans sa musique les nombres,les suites de nombres, leurs transformations, et leurs sym´etries de fa¸conconsciente et syst´ematique et il les a mis en valeur dans ses ´ecrits. Plusg´en´eralement, il a accord´e aux math´ematiques une place de premier ordredans ses compositions et dans son œuvre th´eorique.Au-del`a de la discussion sur Messiaen d´evelopp´ee dans cet article, l’un desth`emes que je voudrais illustrer est que la musique contribue `a donner vieet `a rendre perceptibles `a nos sens des notions dont la nature serait a priori purement abstraite. Enfin, l’article sera aussi l’occasion de passer en revue,mˆeme si c’est de fa¸con tr`es br`eve, certains cˆot´es historiques, philosophiqueset th´eologiques de la pens´ee de Messiaen.2.
Rythme
Le rythme occupe une place de premier plan dans la musique de Mes-siaen. Dans un entretien avec le journaliste et critique musical Claude Sa-muel, publi´e en 1999, il d´eclare : « Je consid`ere que le rythme est la partieprimordiale et peut-ˆetre essentielle de la musique ; je pense qu’il a vraisem-blablement exist´e avant la m´elodie et l’harmonie, et j’ai enfin une pr´ef´erencesecr`ete pour cet ´el´ement » . L’œuvre th´eorique monumentale, sur laquelleMessiaen travailla pendant 40 ans et qui fut publi´ee de mani`ere posthume,s’intitule « Trait´e de rythme, de couleur, et d’ornithologie » . Dans ce titre,le rythme vient en premier lieu, et le premier tome du trait´e (375 pages),est enti`erement d´edi´e `a cette notion. Dans les premi`eres pages de ce volume,Messiaen s’´el`eve contre l’opinion commune qui dit que la musique est faiteavec des sons : « Je dis non ! Non, pas seulement avec des sons... La m´elodien’existerait pas sans le Rythme !... La musique est faite d’abord avec des
Dur´ees , des ´Elans et des
Repos , des
Accents , des
Intensit´es et des
Densit´es ,des
Attaques et des
Timbres , toutes choses qui se regroupent sous un vocableg´en´eral : le
Rythme » .S’agissant de rythme, Messiaen ne pensait pas `a des rythmes r´eguliers,mais plutˆot aux rythmes libres de la Gr`ece antique et de l’Inde, `a ceux desvagues de la mer, des cascades en montagne, et du vent. Dans un de sesentretiens avec Claude Samuel, il dit : « Je ne fais aucune limitation entrele bruit et le son ; tout cela repr´esente toujours pour moi de la musique » . Il est int´eressant de noter que l’observation de tels ph´enom`enes naturelsa aussi inspir´e l’un des plus grands math´ematiciens du vingti`eme si`ecle,Ren´e Thom. Ce dernier raconte dans ses ´ecrits que c’est en regardant led´eploiement d’une vague qu’il a eu l’id´ee de celui d’une courbe alg´ebrique
1. Samuel 1999, p. 101.2. Messiaen 2001, t. 1, p. 403. Samuel 1967, p. 28.4. Thom 1988.
ESSIAEN ET LES MATH´EMATIQUES 3 dans le plan, qui fut le ferment ce qui est devenu plus tard la th´eorie descatastrophes. Il se souvenait toujours du moment o`u il a eu pour la premi`erefois cette id´ee : ´etendu sur sa couchette, pendant sa premi`ere travers´ee del’Atlantique. On n’a pas suffisamment soulign´e la similarit´e des modes depens´ee de Thom et de Messiaen. Pour l’un comme pour l’autre de ces deuxgrands penseurs, l’observation des ph´enom`enes du monde r´eel a servi deferment aux d´ecouvertes les plus abstraites. Signalons au passage que tousdeux partageaient une grande sensibilit´e hell´enistique .Les couleurs, deuxi`eme notion `a laquelle fait r´ef´erence le titre du trait´e deMessiaen, sont celles qu’il associait aux sons et aux combinaisons de sons.Un exemple que l’on donne souvent de musique color´ee est celui de la Cit´eC´eleste , une œuvre pour piano, ensemble `a vent et percussions qu’il composaen 1963, dont le titre fait r´ef´erence au livre de l’Apocalypse et qui, selonMessiaen, repr´esente « une rosace de cath´edrale aux couleurs flamboyanteset invisibles » .Enfin, l’ornithologie, dans le titre du trait´e, fait r´ef´erence aux oiseaux queMessiaen passait son temps `a observer et dont il notait les chants : encoreun mat´eriau fondamental de la nature avec lequel il travaillait. Messiaen dit`a plusieurs occasions qu’il consid´erait ces animaux comme les musiciens lesplus dou´es qui existent sur notre plan`ete, et surtout, les meilleurs rythmi-ciens . Ils ´etaient ses maˆıtres en musique et il leur rendit hommage dans demultiples compositions. Dans son dialogue avec Samuel, il d´eclare : « Vousne trouverez jamais, dans le chant d’oiseaux, une erreur de rythme, de m´e-lodie ou de contrepoint » . Les oiseaux, disait-il souvent, ont tout invent´e,y compris l’improvisation collective. « Tout ce que je sais de la m´elodie, cesont les oiseaux qui me l’ont appris... » . Et sur le rythme : « La Grive mu-sicienne – qui est peut-ˆetre la reine des oiseaux chanteurs – poss`ede un chantmagique, incantatoire, coup´e en petites formules rythmiques tr`es nettes, tou-jours r´ep´et´ees de 2 `a 5 fois, le plus souvent 3 fois (comme dans le rituel desinvocations religieuses et les enchantements de la sorcellerie primitive). Endehors de quelques rythmes caract´eristiques, les strophes sont toujours nou-velles et l’invention rythmique in´epuisable. L’agencement des dur´ees et desnombres, toujours inattendu, impr´evu, surprenant, manifeste cependant unsens de l’´equilibre tel qu’on a peine `a croire `a une improvisation. » . L’ana-lyse des Couleurs de la cit´e C´eleste , une œuvre que nous avons mentionn´ee,r´ev`ele qu’elle fait intervenir les chants de 21 oiseaux exotiques .Le rythme n’est pas ´etranger aux math´ematiques, ne serait-ce que parceque les dur´ees, les repos, les intensit´es, les densit´es, etc. qui font partie descaract´eristiques d’un rythme se mesurent avec des nombres.Pour aborder de mani`ere plus pr´ecise certains aspects math´ematiques durythme, nous allons consid´erer ce dernier comme une suite de dur´ees, c’est-`a-dire comme un « d´ecoupage du temps » , expression qui prend toute sa
5. Papadopoulos 2019A et 2019B.6. Note d’Olivier Messiaen dans Messiaen 1966.7. Messiaen 2001, t. 1, p. 53.8. Samuel 1999.9. Messiaen 2001, t. 1, p. 53.10. Messiaen 2001, t. 1, p. 54.11. Mathon 1995.
ATHANASE PAPADOPOULOS valeur sous la plume de Messiaen, qui d’ailleurs commence son
Trait´e par unelongue ´etude sur le Temps : temps absolu, temps relatif, temps biologique,temps cosmologique, temps physiologique, temps psychologique, etc., avecde longues digressions sur la notion de Temps dans la mythologie, dans laBible, chez Einstein, Bergson et d’autres. Signalons en passant que Messiaena utilis´e la notion de rythme dans un sens beaucoup plus ´elargi, qui n’est pasconfin´e `a la musique ; il voyait le rythme dans la nature, pas seulement dansles sons mais aussi dans les formes. Il le lisait par exemple dans les ailes despapillons. Il ´ecrit dans son
Trait´e de rythme, de couleur et d’ornithologie : « Il doit exister quelque part un mus´ee des formes rythmiques, des arch´etypesde la branche, de la feuille et de la fleur, qui seraient en mˆeme temps l’originede toutes les formes et de tous les rythmes connus » . Les « formes » dansla nature, c’´etait aussi l’objet d’´etude et de pens´ee par excellence de Thom,que l’on a mentionn´e plus haut.Messiaen se d´efinissait d’abord comme rythmicien. Il aimait les rythmesde la Gr`ece antique et de l’Inde, `a cause de leurs propri´et´es arithm´etiques,mais aussi et surtout pour la grande libert´e que leur utilisation lui offrait. Onest loin des rythmes monotones et r´eguliers `a trois temps, `a quatre temps,etc., et mˆeme si les rythmes grecs et hindous sont structur´es et class´es, lenombre de possibilit´es qu’ils offrent `a l’int´erieur d’une mˆeme composition estinfini ; on n’est pas limit´e par une r`egle uniforme a priori . Ils sont `a l’imagedes math´ematiques qui, loin de confiner la pens´ee dans un cadre d´elimit´e,lui fournissent un espace de libert´e infinie. Messiaen d´eclare, `a propos du Vent de l’Esprit , derni`ere pi`ece de la
Messe de la Pentecˆote , qu’il « m´elangela chose la plus vivante, la plus libre qui soit : un chant d’Alouette – avecune combinaison rythmique de la plus extrˆeme rigueur » .Quelques rappels sur les rythmes grecs sont peut-ˆetre utiles ici.On sait que dans la Gr`ece antique, la musique accompagnait la po´esie.Ainsi, le rythme musical suivait celui de la d´eclamation. Il y avait deuxsortes de dur´ees pour les notes, des dur´ees longues , correspondant aux syl-labes longues, et des dur´ees br`eves , correspondant aux syllabes br`eves. Les mesures (si l’on peut parler de mesure), y sont de longueur in´egale ; elles sontcomparables aux respirations entre les phrases du langage parl´e, ou d´eclam´e.C’est une libert´e que le chant gr´egorien avait pr´eserv´ee ( « rythmique verbale » ) et que Messiaen utilisa dans toutes ses compositions. Le rythme en ce sens,comme succession de dur´ees longues et br`eves, s’appelle m`etre ou m´etrique .Les diff´erents types de m´etriques grecques furent analys´es et class´es par lesth´eoriciens grecs de la musique, en particulier par Aristox`ene de Tarente,le grand musicologue du 4`eme si`ecle av. J. C. Messiaen est probablementle principal compositeur du 20e si`ecle `a avoir s´erieusement raviv´e l’usaged’une telle musique, dans ses compositions ainsi que dans son enseignementth´eorique, mˆeme si, comme il dit lui-mˆeme, cette tradition n’avait pas ´et´ecompl`etement perdue dans la musique occidentale, puisqu’on en retrouve destraces dans la musique folklorique roumaine et chez certains compositeurscomme Ravel ou Stravinski. Le tome 1 du Trait´e de Rythme, de couleur et
12. Messiaen 2001, t. 1, p. 56.13. Cit´e dans Ide 1999.
ESSIAEN ET LES MATH´EMATIQUES 5 d’ornithologie contient un chapitre de 170 pages sur la m´etrique grecque.Par son usage du rythme, Messiaen se sentait proche des Orientaux : « LesOrientaux sont tous rythmiciens, les Hindous plus que tous les autres r´eunis.Les Occidentaux sont plus harmonistes que rythmiciens » .Une autre caract´eristique de la m´etrique grecque, qui ´etait rarement uti-lis´ee dans la musique classique occidentale quand Messiaen a entrepris daformation, est qu’elle utilise souvent des rythmes dont la dur´ee totale estun nombre premier (en particulier 5, 11 et 17) . Un exemple de rythme `a5 temps est le rythme Cr´etique (ou
Cr´etois ), repr´esent´e par la suite 2, 1, 2(c’est-`a-dire deux longues, une br`eve et deux longues) et ses permutations :2, 2, 1 et 1, 2, 2. Cet exemple nous introduit directement `a deux notionsimportantes dans le monde musical de Messiaen. La premi`ere est manifest´eepar la sym´etrie centrale de la suite 2, 1, 2, qui en fait un exemple de ce queMessiaen appelle rythme non r´etrogradable , que l’on a d´ej`a mentionn´e dansl’introduction de cet article, et dont on reparlera encore plus loin. Le rythme2, 1, 2 s’appelle
Amphimacros , qui veut dire (comme l’explique Messiaen) « longue entrourant la br`eve » . L’autre notion, sur laquelle on reviendra aussiplus loin, est celle de permutation , que l’on a appliqu´e ici `a une suite dedur´ees.Passons maintenant aux rythmes hindous, et commen¸cons par nous poserla question : Pourquoi Messiaen s’est-il int´eress´e `a la musique hindoue ? Ilnous en donne lui-mˆeme des ´el´ements de r´eponse. Il ´ecrit, dans le tome 1de son Trait´e : « La musique hindoue est celle qui est certainement all´eele plus loin dans le domaine rythmique et sp´ecialement dans l’ordre quan-titatif (combinaisons des longues et des br`eves). Les rythmes hindous, d’unraffinement, d’une subtilit´e sans ´egals, laissent loin derri`ere eux nos pauvresrythmes occidentaux avec leurs mesures isochrones, et leurs perp´etuelles di-visions et multiplications par 2 (quelquefois par 3). » Comme dans le cas des rythmes grecs, les rythmes hindous foisonnentdans les compositions de Messiaen, et leur ´etude occupe dans le tome 1de son
Trait´e une partie aussi importante que des rythmes grecs. Messiaeny dresse le tableau des 120
De¸cˆı-Tˆalas , des 36 rythmes de la raditionkarnˆatique, et d’autres groupes de rythmes hindous. Ces rythmes peuventˆetre vus comme des suites de nombres ayant des propri´et´es arithm´etiques,et ces derni`eres exer¸caient une grande fascination sur Messiaen. Dans sesentretiens avec Pierre Samuel , r´epondant `a une question sur les De¸cˆı-Tˆalas ,Messiaen dit : « De toutes fa¸cons, j’´etais orient´e vers ces recherches, vers lesdivisions asym´etriques, et vers un ´el´ement qui se rencontre dans la m´etriquegrecque et dans les rythmes de l’Inde : les nombres premiers. Quand j’´etaisenfant, j’aimais d´ej`a les nombres premiers, ces nombres qui, par le simple faitqu’ils ne sont pas divisibles en fractions ´egales, d´egagent une force occulte,
14. Messiaen 2001, t. 1, p. 30.15. Messiaen 2001, t. 1, p. 258.16. En hindou, De¸cˆı= rythme ; Tˆala = province. Ainsi, De¸cˆı-Tˆala veut dire rythme des diff´erentesprovinces (explication de Messiaen). Un catalogue de 120 talas avait ´et´e compil´e par le musicologueindien du 13e si`ecle Sharngadeva ; c’est celui que Messiaen reprend. Ce dernier en avait d´ej`a utilis´eplusieurs, mˆeme avant de savoir qu’ils existaient dans la musique hindoue.17. Samuel 1999, p. 118.
ATHANASE PAPADOPOULOS puisque vous savez que la Divinit´e est indivisible... » Le tableau des
De¸cˆı-Tˆalas que Messiaen donne dans son
Trait´e foisonne de rythmes dont lasomme des dur´ees est un nombre premier (on trouve par exemple les entiers5, 7, 11, 17, 19, 37). Il ´ecrit dans le tome 1, p. 266 : « L’impossibilit´e dela division d’un nombre premier (autre que par lui-mˆeme et par l’unit´e)leur conf`ere une sorte de puissance qui est tr`es effective dans le domaine durythme. » Une autre propri´et´e arithm´etique, que l’on retrouve dans certains
De¸cˆı-Tˆalas est celle de rythme consistant en une suite de dur´ees suivie de son augmentation , par exemple la suite 1, 1, 1, 2, 2, 2 (Tˆala No. 73), qui estform´e par la suite 1, 1, 1, suivie de son augmentation par multiplication par2. Inversement, certains rythmes sont suivis par leur diminution , parfois denouveau par la diminution de leur diminution, etc., comme dans l’exemple4, 4, 2, 2, 1, 1 (Tˆala No. 115)On trouve aussi des combinatoires plus complexes, par exemple le rythme1, 3, 2, 3, 3, 3, 2, 3, 1, 3 (Tˆala No. 27) o`u les dur´ees d’ordre pair sonttoutes ´egales entre elles, alors que les dur´ees d’ordre impair forment unesuite croissante puis d´ecroissante, de fa¸con r´eguli`ere.On trouve aussi dans les
De¸cˆı-Tˆalas plusieurs exemples de rythmes non r´e-trogradables, une propri´et´e que l’on a rencontr´ee dans la m´etrique grecque,c’est-`a-dire des rythmes form´es par une suite de dur´ees suivie de la suitesym´etrique (avec ´eventuellement une valeur commune au centre). On re-trouve par exemple le rythme grec
Amphimacre , 2, 1, 2 (Tˆala No. 58), dontMessiaen dit qu’il est « le plus simple et le plus naturel des rythmes nonr´etrogradables, ´etant bas´e sur le nombre 5, le nombre des doigts de la main » (t. 1 p. 289). D’autres rythmes non r´etrogradables dans les De¸cˆı-Tˆalas sont par exemple 2, 2, 1, 1, 2, 2 (Tˆala No. 26), ou 1, 1, 2, 2, 1, 1 (Tˆala No.80), ou 2, 1, 1, 1, 1, 2 (Tˆala No. 111), et il y en a plusieurs d’autres. Onreviendra plus loin sur l’importance de ces rythmes.Messiaen a mis en valeur la notion de rythme non r´etrogradable tr`es tˆotdans ses compositions, et il y a attach´e une importance capitale d`es sespremiers ´ecrits th´eoriques (
Technique de mon langage musical , publi´e en1944) . Un tel rythme est repr´esent´e par une suite de dur´ees ayant la pro-pri´et´e que, quand on la lit de gauche `a droite ou de droite `a gauche, onobtient la mˆeme suite. Il est bon de rappeler ici que la r´etrogradation estun proc´ed´e classique en contrepoint (qui est l’art de transformer et de su-perposer des lignes m´elodiques). Ce proc´ed´e consiste `a lire un certain motifmusical `a l’envers (c’est-`a-dire en commen¸cant par la derni`ere note et enterminant par la premi`ere). Le motif initial s’appelle alors motif en mouve-ment direct , et le transform´e s’appelle motif r´etrograde . Ainsi, on peut voirun rythme non r´etrogradable comme la juxtaposition d’un rythme en mou-vement direct suivi de son mouvement r´etrograde (avec ´eventuellement unevaleur commune au milieu). La r´etrogradation, comme technique de contre-point, est utilis´ee et enseign´ee depuis le 14`eme si`ecle. Avant Messiaen, elle´etait appliqu´ee `a une ligne m´elodique, c’est-`a-dire une suite de hauteurs.Avec Messiaen, elle acquiert un caract`ere plus abstrait ; elle est appliqu´ee
18. Messiaen 1944.
ESSIAEN ET LES MATH´EMATIQUES 7 au rythme, ind´ependamment de la hauteur des notes. L’auditeur de la mu-sique de Messiaen est appel´e `a sentir la r´etrogradation d’un motif musicaluniquement au niveau des dur´ees, sans qu’il y ait de correspondance r´e-guli`ere (´egalit´e, transposition, sym´etrie, etc.) entre les hauteurs des notes(comme fr´equences) du motif en mouvement direct avec celles du motif enmouvement r´etrograde.Dans le tome 1 de son Trait´e , Messiaen, cite 8 mesures ssuccessives dela « Danse de la fureur, pour les sept trompettes » (6e mouvement de son Quatuor pour la fin du Temps ), dont les rythmes sont non r´etrogradables,et qui sont respectivement 3 , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , Technique de mon langage musical , Messiaen parle du charme que peutproduire un rythme non r´etrogradable sur l’auditeur de sa musique. En fait,il parle en mˆeme temps de ce charme et de celui produit par ses modes`a transpositions limit´ees . Mˆeme si l’on n’a pas encore rappel´e la d´efinitionde ces modes, on peut signaler que Messiaen d´ecrit les rythmes non r´etro-gradables et les modes `a transpositions limit´ees comme des impossibilit´esmath´ematiques , impossibilt´e dans le domaine rythmique, car, comme il dit,il est impossible de les r´etrograder, puisqu’en les r´etrogradant on obtient lemˆeme rythme, et impossibilit´e dans le domaine modal, puisqu’on ne peuttransposer au-del`a d’un certain petit nombre de fois .`A la page 13 du mˆeme trait´e, Messiaen d´ecrit les impressions que fontces impossibilit´es sur l’auditeur de sa musique : « Pensons maintenant `al’auditeur de notre musique modale et rythmique ; il n’aura pas le temps,
19. Messiaen 2001, t. 1, p. 26.20. Messiaen 1944.21. « Un point fixera d’abord notre attention : le charme des impossibilit´es ... Ce charme, `a la foisvoluptueux et contemplatif, r´eside particuli`erement dans certaines impossibilit´es math´ematiquesdes domaines modal et rythmique. Les modes, qui ne peuvent se transposer au-del`a d’un certainnombre de transpositions parce que l’on retombe toujours dans les mˆemes notes ; les rythmes, quine peuvent se r´etrograder parce que l’on retrouve alors le mˆeme ordre des valeurs... » (Messiaen1944, vol.1 p. 5). ATHANASE PAPADOPOULOS au concert, de v´erifier les non-transpositions et les non-r´etrogradations, et `ace moment-l`a, ces questions ne l’int´eresseront plus : ˆetre s´eduit, tel sera sonunique d´esir. Et c’est pr´ecis´ement ce qui se produira : il subira malgr´e lui lecharme ´etrange deux impossibilit´es : un certain effet d’ubiquit´e tonale de lanon-transposition, une certaine unit´e de mouvement (o`u commencement etfin se confondent parce qu’ils sont identiques) dans la non-r´etrogradation,toutes choses qui l’am`eneront certainement `a cette sorte d’“arc-en-ciel th´eo-logique” qu’essaie d’ˆetre le langage musical dont nous cherchons ´edificationet th´eorie. » Une autre raison pour laquelle les rythmes non r´etrogradables ´etaientchers `a Messiaen est r´ev´el´ee dans le tome 2 de son
Trait´e . Qu’on le lise dedroite `a gauche ou de gauche `a droite, dit-il, un tel rythme ne change pas, cequi fait de lui un rythme qui n’a ni commencement ni fin. Messiaen dit quel’une des forces de ces rythmes r´eside dans le fait que « comme le Temps, lerythme non r´etrogradable est irr´eversible. Il ne peut pas revenir en arri`ere,sous peine de se r´ep´eter... L’avenir et le pass´e sont en miroir l’un par rapport`a l’autre » .Pour terminer avec la notion de rythme, disons un mot sur le symbolismedu nombre dans le rythme. Bien que cela ne fasse pas partie des math´ema-tiques proprement dites, il est bien connu que d’anciennes ´ecoles math´ema-tiques ´etaient attach´ees au symbolisme du nombre (on pense en particulier`a celle de Pythagore). La rythmique hindoue foisonne de symbolisme dunombre. Par exemple, un rythme `a quatre temps, comme 1, 1, 1, 1 (Tˆala No.99) s’appelle gaja , qui en sanscrit veut dire ´el´ephant . Messiaen explique que dans la culture hindoue, l’´el´ephant est la manifestation de la force phy-sique. « Ses quatre lourdes pattes et sa lourde et puissante d´emarche sontrepr´esent´ees par quatre dur´ees » . L’´el´ephant est symbolis´e aussi par d’autresrythmes `a quatre dur´ees, par exemple 1, 1, 1, 3/2 (Tˆala No. 18), appel´e ga-jalˆıla , c’est-`a-dire « jeu de l’´el´ephant » , la derni`ere valeur, plus longue queles trois autres, reproduisant dans ce cas la lourdeur de la d´emarche de l’´el´e-phant . Comme autre exemple , signalons le Tˆala No. 105, compos´e de 7dur´ees, successivement 2, 2, 2, 3, 3, 3, 1 et qui s’appelle Candrakalˆa , ce quiveut dire « beaut´e de la lune » . Messiaen pense que ce rythme comprendtrois parties, d’abord 2, 2, 2 symbolisant la terre, puis 3, 3, 3 symbolisant lesoleil, et enfin 1 symbolisant la lune.Le Tˆala No. 27, que l’on a d´ej`a mentionn´e, 1, 3, 2, 3, 3, 3, 2, 3, 1, 3,dans lequel s’entrecroisent une suite constante et une suite croissante puisd´ecroissante, a pour Messiaen une « importance extrˆeme » ; il repr´esente,selon lui, l’ « union du Temps et de l’Eternit´e » . D´ej`a utilis´e consciemmentou inconsciemment, par Stravinski, dans le Sacre du Printemps , Messiaendit que ce rythme est `a la base de sa th´eorie des personnages rythmiques .
22. Dans le tableau qu’il a dress´e des 120
De¸cˆı-Tˆalas , Messiaen indique toujours le nom ensanscrit, la traduction fran¸caise de ce nom, puis les caract´eristiques rythmiques, symboliques etautres.23. Messiaen 2001, t. 1, p. 299.24. Messiaen 2001, t. 1, p. 276.25. Messiaen 2001, t. 1, p. 309.26. Messiaen 2001, p. 317.
ESSIAEN ET LES MATH´EMATIQUES 9
Il faut mentionner aussi le contrepoint de rythme , une th´eorie que Mes-siaen utilisa dans ses pi`eces et qu’il d´eveloppa dans ses trait´es th´eoriques. `Al’origine, le contrepoint est l’art de transformer et de superposer des lignesm´elodiques, et Messiaen en a fait l`a aussi, une th´eorie propre aux rythmes.Classiquement, il y a trois op´erations ´el´ementaires dans le contrepointm´elodique : la r´etrogradation, l’inversion et la transposition. Parmi ces op´e-rations, seule la premi`ere affecte le rythme. En contrepartie, il y a d’autrestransformations de contrepoint qui sont propres au rythme, en particulierl’ augmentation et la diminution . Elles consistent `a changer les valeurs des du-r´ees d’un certain motif m´elodique en les multipliant par un facteur constant(on dit que l’on a une imitation par augmentation si ce facteur est plus grandque 1, et par diminution s’il en est plus petit). Avec Messiaen, l’augmen-tation et la diminution ont acquis un caract`ere plus abstrait que dans lecontrepoint classique parce qu’elles sont appliqu´ees aux valeurs rythmiquesseulement, c’est-`a-dire sans que le nouveau motif m´elodique ait forc´ementune relation avec l’ancien. Citons par exemple la pi`ece No. V des
Vingt Re-gards sur l’Enfant J´esus (1944) o`u l’on trouve, au d´ebut de la pi`ece, desaugmentations de rythmes par multiplication par 3/2, alors que le motif etson augmentation sont compl`etement diff´erents du point de vue m´elodique ;ils sont mˆeme ´ecrits dans des modes diff´erents, et ils forment ce que Messiaenappelle un canon rythmique .Plusieurs transformtions de rythmes pr´eservant la propri´et´e d’ˆetre nonr´etrogradables, sont d´ecrites par Messiaen dans le tome 2 du
Trait´e (p.41). Ce sont celles d’ amplification sym´etrique et d’ ´elimination sym´etriquedes extrˆemes . L’amplification sym´etrique consiste `a ajouter `a une formulerythmique donn´ee une autre formule et son renversement, respectivementd’un cˆot´e et de l’autre de la formule initiale. Par exemple, au No. XX des
Vingt Regards sur l’Enfant J´esus , le premier th`eme, expos´e `a la mesure 2,est un th`eme tr`es court dont la formule rythmique est 2, 1, 2 (rythme nonr´etrogradable, o`u l’unit´e est ici aussi la double croche ; en d’autres termes ona la suite croche, double croche, croche). Ce th`eme est amplifi´e `a la mesure4, o`u il devient 2, 2, 2, 1, 2, 2, 2. Il est amplifi´e de nouveau, de mani`erediff´erente `a la mesure 6, o`u il devient 2, 2, 2, 1, 2, 1, 2, 2, 2. On retrouve cemˆeme rythme, avec les mˆemes amplifications, plus loin dans la pi`ece (mesure82) : 2 1 22 2 2 1 2 2 22 3 / / agrandissement et de dimi-nution de la valeur centrale , qui toutes deux pr´eservent le caract`ere nonr´etrogradable. Plusieurs exemples sont donn´es dans le tome 2 du Trait´e .Les techniques du contrepoint classique sont utilis´ees en particulier pour´ecrire des canons , et Messiaen a inclus dans ses pi`eces des canons de rythmes .L`a aussi, les exemples sont multiples et plusieurs pi`eces des
Vingt Regards contiennent des canons de rythmes non r´etrogradables . Par exemple, la pi`eceNo. 5 en contient plusieurs. Sur la partition de l’œuvre, Messiaen a indiqu´e certains de fa¸con explicite, pour en faciliter l’analyse, les sujets et contre-sujets de ces canons, ainsi que les diff´erentes transformations qu’il leur aappliqu´ees.Retenons aussi que mˆeme si l’´ecriture de Messiaen poss`ede une rigueurtout `a fait math´ematique, et mˆeme si Messiaen demande `a son lecteur et`a son interpr`ete de « lire et ex´ecuter exactement les valeurs marqu´ees » sa musique exclut la monotonie. Dans ses dialogues avec Pierre Samuel , ildit : « Une musique rythmique est une musique qui exclut la r´ep´etition, lacarrure et les divisions ´egales, qui s’inspire en somme des mouvements de lanature, mouvements de dur´ees libres et in´egales » , et un peu plus loin (p.103) : « La musique militaire est la n´egation du rythme » . Pour Messiaen ,si dans le rythme il y a une p´eriodicit´e, c’est « la vraie p´eriodicit´e, celle desvagues de la mer, le contraire d’une r´ep´etition pure et simple. Chaque vagueest diff´erente de la pr´ec´edente et de la suivante, par son volume, sa hauteur,sa dur´ee, la lenteur et la bri´evet´e de sa formation, la puissance de son climax,la prolongation de sa chute, de son ´ecoulement, de son ´eparpillement » .Pour conclure cette section sur les rythmes, notons que mˆeme si Messiaenparle d’un cˆot´e de rythmes qui sont « pens´es pour le seul plaisir intellectueldu nombre » (t. 1 p. 51), un plaisir qui peut sembler froid et d´epourvude lyrisme, il compare d’un autre cˆot´e la beaut´e de certains rythmes quisont construits de mani`ere rigoureuse, sur des structures math´ematiques, `ala beaut´e de certains visages, `a celle des jardins `a la fran¸caise, `a celles descath´edrales romanes et `a celle des ailes des papillons.3. Les modes `a transpositions limit´ees
La seconde impossibilit´e math´ematique dont parle Messiaen dans le pas-sage qu’on a cit´e de sa
Technique de mon langage musical est celle des modes`a transpositions limit´ees .Rappelons d’abord le sens du mot mode . Messiaen, dans son
Trait´e , faitun expos´e de la relation entre mode et couleur. Adh´erer compl`etement `ason explication requiert une certaine facult´e mentale (que Messiaen avait) :celle de pouvoir associer des couleurs `a des notes ou ensemble de notes .Faute de cela, on est oblig´e d’avoir recours `a une d´efinition plus terre-`aterre, d’un mode comme une suite de notes musicales distinctes, qui permetde d´ecrire l’ « atmosph`ere » d’une œuvre, ou celle de l’endroit de l’œuvreo`u l’on se trouve (une œuvre pouvant ˆetre polymodale). Pour utiliser unlangage « math´ematique » , un mode donne une premi`ere approximation del’œuvre. Les tonalit´es majeure et mineure sont des approximations (assezrudimentaires) d’une telle notion, qui s’appliquent `a la musique tonale c’est-`a-dire celle de l’occident d’apr`es la Renaissance, et jusqu’au d´ebut du 20`emesi`ecle. La Gr`ece et l’Inde antiques connaissaient des modes vari´es et riches.Les modes du plain-chant et ceux du chant byzantin trouvent leurs racinesdans ceux du chant grec antique. Un retour `a la musique modale, que l’onvoit apparaˆıtre d´ej`a vers la fin du dix-neuvi`eme si`ecle dans les œuvres de
27. Messiaen 1944 chap. II.28. Samuel 1999, p. 102.29. Messiaen 2001, p. 42.30. voir, par exemple, Samuel 1999, p. 95, le chapitre intitul´e des sons et des couleurs . ESSIAEN ET LES MATH´EMATIQUES 11
Faur´e, Satie et Debussy, met `a la disposition du compositeur l’infinie vari´et´ede ces modes anciens.Il est naturel d’exprimer ces modes (et leurs transpositions) dans le lan-gage math´ematique du groupe des entiers modulo 12, de mˆeme qu’il est usueld’expliquer les op´erations de transposition en utilisant ce mˆeme langage.Techniquement parlant, un mode `a transpositions limit´ees est un ensemblede notes de la gamme temp´er´ee `a 12 sons ayant la propri´et´e que quand ontranspose cette suite par un certain intervalle « petit » en un sens `a pr´eciser,on retombe sur la mˆeme suite, les notes ´etant consid´er´ees `a octave pr`es .On commence par repr´esenter les 12 notes de la gamme chromatique, do,do di`ese, r´e, r´e di`ese, mi, fa, fa di`ese, sol, sol di`ese, la, la di`ese, si , par lasuite des nombres entiers (modulo 12) 0, 1, 2, 3, ... 11. Un mode, ´etant unesuite de notes distinctes parmi les 12 notes de la gamme chromatique d´efinies`a une octave pr`es, devient un sous-ensemble de l’ensemble 0 , , ..., transposition au niveau des notes, correspond alors, au ni-veau de la repr´esentation des notes par des entiers modulo 12, `a une trans-lation dans le groupe des entiers modulo 12 (appel´ee translation modulo12).Un mode `a transpositions limit´ees `a sa premi`ere transposition devient docun sous-ensemble cycliquement ordonn´ee de l’ensemble 0 , , ...,
11 commen-¸cant par 0 et invariante par une « petite » translation modulo 12, `a permu-tation circulaire pr`es. Messiaen retient sept modes `a transpositions limit´eesparticuliers, que l’on va d´ecrire maintenant, `a leur premi`ere transposition.Notons tout de suite que cette classification en sept modes est distincte detoutes celles des modes connus avant Messiaen (que ce soit les modes de laGr`ece antique, de l’Inde, de la Chine ou du chant gr´egorien).La liste des sept modes de Massian est la suivante : Premier mode.—
Il est « deux fois transposable » , c’est-`a-dire, en langagemath´ematique, invariant par la translation par 2. Du point de vue musical,c’est la gamme de tons , qui fut largement utilis´ee par Debussy (et que l’onappelle parfois la « gamme de tons de Debussy » ). En d’autres termes, c’estla suite de notes do, r´e, mi, fa di`ese, sol di`ese, la di`ese . Utilisant le langage des entiers modulo 12, c’est la suite0 , , , , , . `A une permutation circulaire pr`es, elle est invariante par la translation par2 modulo 12.
31. Rappelons Rameau est le premier `a avoir pris dans ses axiomes de la musique et th´eoris´el’identification de deux notes `a une octave pr`es (Rameau 1750), mˆeme si cette identificationexistait, du point de vue de la pratique, longtemps avant lui (les hommes et les femmes chantantsimultan´ement « `a l’unisson » alors qu’ils chantent `a une octave pr`es). Second mode.—
Ce mode est « trois fois transposable » , c’est-`a-dire invariantpar translation par 3. Il est repr´esent´e par la suite de notes do, do di`ese, r´e di`ese, mi, fa di`ese, sol, la, la di`ese ou, de mani`ere ´equivalente, par la suite d’entiers modulo 120 , , , , , , , . Messiaen utilisait ce mode de fa¸con syst´ematique. Il dit qu’on le trouve « `al’´etat de timide ´ebauche » dans la musique de Rimski-Korsakov, Scriabine,Ravel et Stravinski. Troisi`eme mode.—
Ce mode est « quatre fois transposable » , c’est-`a-direinvariant par la translation par 4. Il est repr´esent´e par la suite de notes do, r´e, r´e di`ese, mi, fa di`ese, sol, sol di`ese, la di`ese, si ce qui correspond `a la suite d’entiers modulo 120 , , , , , , , , . Les quatre derniers modes (les modes 4, 5, 6 et 7) sont « six fois transpo-sables » , c’est-`a-dire que chacun d’eux est invariant par la translation par6 modulo 12. Ils sont repr´esent´es respectivement par les notes, ou suitesd’entiers suivants : Quatri`eme mode.—do, do di`ese, r´e, fa, fa di`ese, sol, sol di`ese, si ou 0 , , , , , , , . Cinqui`eme mode.— do, do di`ese, fa, fa di`ese, sol, si ou 0 , , , , , . Sixi`eme mode.—do, r´e, mi, fa, fa di`ese, sol di`ese, la di`ese, si ou 0 , , , , , , , . Septi`eme mode.—do, do di`ese, r´e, r´e di`ese, mi, fa di`ese, sol, sol di`ese, la, si ou 0 , , , , , , , , , . La liste des modes `a transpositions limit´ees s’arrˆete aux modes six foistransposables car 6 est le plus grand diviseur de 12 qui ne soit pas ´egal `a 12.Cette liste de 7 modes n’est pas exhaustive par rapport aux propri´et´esmath´ematiques que l’on a mentionn´ees. Messiaen d’ailleurs donne lui-mˆemeune liste de suites de notes de la gamme chromatique qui ne sont pas des
ESSIAEN ET LES MATH´EMATIQUES 13 transpositions des modes 4, 5, 6 ou 7, et qui sont pourtant six fois trans-posables , mais il les consid`ere comme des modes tronqu´es , et non pas devrais modes.Dans la correspondance mode-couleur ´etablie par Messiaen, chacun dessept modes qu’il consid`ere, `a chacune de ses transpositions, correspond `aune certaine couleur bien d´efinie. Nous avons mentionn´e le « charme desimpossibilit´es » des modes `a transpositions limit´ees. Selon Messiaen, cesmodes « r´ealisent dans le sens vertical (transposition) ce que les rythmesnon r´etrogradables r´ealisent dans le sens horizontal (r´etrogradation) » .Math´ematiquement parlant, toutes ces impossibilit´es s’expriment par dessym´etries. La notion d’nvariance par un groupe de transformations est ´equi-valent `a celle de sym´etrie.Il existe une troisi`eme « impossibilit´e math´ematique » dont Messiaenne parle pas dans sa Technique , mais il le fait quelques ann´ees plus tard,dans son
Trait´e : c’est celle des permutations sym´etriques , dont on va parlermaintenant. 4.
Permutations sym´etriques
Messiaen appelle permutation sym´etrique une permutation (d’un nombrefini d’objets) ayant la propri´et´e que quand on la r´ep`ete un petit nombre defois, on retombe sur l’identit´e. En termes math´ematiques, l’ordre du groupecyclique que cette permutation engendre est petit. C’est la mˆeme notion quiintervient dans les modes `a transpositions limit´ees. Le sens de l’adjectif « petit » peut ˆetre pris dans le sens de pouvoir ˆetre d´ecel´e par un auditeur dela musique.Les permutations, en g´en´eral, jouent un rˆole d´eterminant dans la musiquede Messiaen. `A partir d’une suite de notes, de dur´ees, de nuances, etc., onpeut en obtenir une autre par permutation ; par exemple, `a partir de la suitede dur´ees croche noire noire , on obtient, par permutation circulaire versla droite, noire noire croche ; en appliquant de nouveau la mˆeme permuta-tion, on obtient noire croche noire , et une troisi`eme fois la mˆeme, crochenoire noire . Ainsi, la permutation que l’on it`ere ici est d’ordre trois. La r´e-trogradation (le fait de lire la suite en sens inverse) est un cas particulierde permutation ; elle est d’ordre deux. Une permutation peut s’appliquerau rythme comme `a d’autres param`etres de la musique. Pour que l’effet de toutes les permutations d’une suite finie d’objets soit exploitable en musique(ou, du moins, pour qu’il soit perceptible `a l’oreille), il faut que le nombresd’objets soit assez petit – ne d´epassant pas 4 ou 5. D`es que le nombre d’ob-jets est grand, le nombre total de permutations est trop grand pour que cetensemble soit utilisable. C’est pour cela que Messiaen propose de se limiter`a un petit nombre de permutations, en utilisant des permutations d’ordrepetit. C’est ce qu’il entend par « permutation sym´etrique » .Dans ce cadre, une pi`ece que l’on donne souvent en exemple est la Chro-nochromie (Couleur du temps), dans laquelle Messiaen applique une permu-tation sym´etrique `a un rythme `a 32 dur´ees. Il part du rythme d´efini par lasuite chromatique de dur´ees, commen¸cant `a la triple croche et not´ee 1 ; 2 ;
32. Messiaen 2001, p. 54.33. Messiaen 1944, p. 13.
Trait´e , p.15 `a 66, Messiaen dresse un tableau complet de la suite des it´er´es ainsi ob-tenue ; il en ressort que cette suite n’a que 36 ´el´ements. En d’autres termes,en appliquant la mˆeme permutation 36 fois, on retombe sur la suite initialede dur´ees : 1 ; 2 ; 3 ; ... ; 32.Il existe un type de permutations auquel Messiaen attache une importanceparticuli`ere (et qui est peut-ˆetre `a l’origine de l’expression « permutationsym´etrique » ) : on part du milieu d’une suite d’objets (par exemple d’unrythme) et l’on prendre ensuite dans l’ordre un objet de part et d’autre, enpartant du centre jusqu’aux extr´emit´es. Une telle permutation est d’ordrepetit.Par exemple , pour une permutation de trois objets not´es 1 ; 2 ; 3, en fai-sant la mouvement dans le sens gauche-droite, on obtient la permutation 2 ;1 ; 3. En it´erant une fois, on retombe sur 1 ; 2 ; 3. La permutation consid´er´eeest donc d’ordre deux.Pour un ensemble de 4 objets, ce proc´ed´e de permutation sym´etriquedonne successivement les suites (1 ; 2 ; 3 ; 4), (2 ; 3 ; 1 ; 4), (3 ; 1 ; 2 ; 4), (1 ;2 ; 3 ; 4). La permutation est donc d’ordre 4.Messiaen r´esume avec les mots suivants ce proc´ed´e d’obtention de permu-tations d’ordre petit : « Il s’agit d’un proc´ed´e qui correspond exactement `a ceque j’appelle, dans les modes, les modes `a transpositions limit´ees, et, dansles rythmes, les rythmes non r´etrogradables. C’est un proc´ed´e qui reposesur une impossibilit´e. Ce sont des dur´ees qui se succ`edent dans un certainordre et que l’on relit toujours dans l’ordre de d´epart ; prenons, par exemple,une gamme chromatique de trente-deux dur´ees : on les intervertit selon unordre choisi, on num´erote le r´esultat de un `a trente-deux, puis on relit cer´esultat dans le premier ordre, et ainsi de suite jusqu’`a ce qu’on retrouve lagamme chromatique des trente-deux dur´ees de d´epart. Ce syst`eme produitdes rythmes int´eressants et tr`es ´etranges, mais il pr´esente surtout l’avan-tage d’´eviter un nombre absolument fabuleux de permutations. Vous savezqu’avec le chiffre douze, tellement aim´e des s´eriels, le nombre des permuta-tions est 479 001 600 ! Il faudrait des ann´ees pour les ´ecrire. Tandis qu’avecmon proc´ed´e, on peut, avec des chiffres plus importants – trente-deux ousoixante-quatre – obtenir les meilleures permutations, supprimer les permu-tations secondaires qui n’aboutissent qu’`a des r´ep´etitions, et travailler surun nombre de permutations raisonnable, pas tr`es loin du chiffre de d´epart » . Messiaen explique ainsi le nom de la pi`ece : « Les dur´ees et les permu-tations de dur´ees rendues sensibles par des colorations sonores : c’est bienune « couleur du temps, une chronochromie » .
34. Samuel 1999, p. 119.35. Samuel 1999, p. 222.
ESSIAEN ET LES MATH´EMATIQUES 15
On pourrait parler aussi des math´ematiques sous-jacentes aux techniquesque l’on a appel´ees « super-s´erielles » dans la musique de Messiaen, qui, g´e-n´eralisent les techniques s´erielles d´evelopp´ees au d´epart par Arnold Schoen-berg et son ´ecole, pour les s´eries `a 12 sons. Messiaen utilisa ces techniquesde fa¸con ´episodique et il ne les consid´era pas comme importantes. Il d´eclaranotamment : « J’ai ´et´e tr`es contrari´e de l’importance absolument d´emesu-r´ee que l’on a accord´ee `a une petite œuvre, qui n’a que trois pages et quis’appelle
Mode de valeurs et d’intensit´es , sous le pr´etexte qu’elle aurait ´et´e `al’origine de l’´eclatement s´eriel dans le domaine des attaques, des dur´ees, desintensit´es, des timbres, bref, de tous les param`etres musicaux. Cette musiquea peut-ˆetre ´et´e proph´etique, historiquement importante, mais musicalement,c’est trois fois rien... » .On peut parler de nouveau de symbolisme du nombre.Ind´ependamment des techniques math´ematiques qu’il a introduites, Mes-siaen aimait les nombres et leur attachait des valeurs symboliques, dans latradition des Pythagoriciens, qui sont les fondateurs de la premi`ere ´ecolemath´ematique connue et digne de ce nom. Le tome 3 de son Trait´e contientplusieurs pages concernant ce sujet, dans lesquelles il explique par exempleque le nombre 1 symbolie l’unit´e divine, le nombre 3 la Sainte Trinit´e, lenombre 7 la cr´eation, et le nombre 10 la d´ecade pythagoricienne, qui enmˆeme temps est Dieu et le monde (3+7). Comme le fit Jean-S´ebastien Bachavant lui, Messiaen a introduit ces symboles dans sa musique. Il nous dit parexemple : « La Transfiguration se divise en deux groupes de sept pi`eces :j’ai adopt´e le chiffre symbolique de sept, que l’on trouve constamment dansla Bible, et en particulier dans l’Apocalypse » . En parlant des Vingt Re-gards sur l’Enfant J´esus (texte accompagnant l’enregistrement Erato, avecYvonne Loriod au piano), il ´ecrit : « Les num´eros des pi`eces sont ordonn´espar les contrastes de temps, d’intensit´e, de couleur – et aussi par des raisonssymboliques... » Par exemple, le
Regard du Temps porte le num´ero 9, car « leTemps a vu naˆıtre en lui celui qui est ´eternel, en l’enfermant dans les 9 moisde la maternit´e » , etc. Dans la pr´eface de la partition du Quatuor pour lafin du Temps (Ed. Durand), Messiaen explique le choix de la num´erotationet du nombre total des mouvements de cette pi`ece (8) par la symbolique deces nombres. 5.
Conclusion
S’il passait beaucoup de temps `a compter, transformer et r´efl´echir surdes suites de nombres. S’il utilisait consciemment les math´ematiques dansses compositions, ce n’est pas seulement dans le but de produire des effetsnouveaux. Il aimait cette science parce qu’il sentait qu’elle fait partie d’unmonde abstrait immuable, en dehors du Temps. C’est pour cette raison qu’ilaccorde au nombre une place importante dans son
Trait´e , au mˆeme titre quela m´emoire, l’´eternit´e et le cosmos.Artiste, observateur de la nature – les oiseaux en particulier – et aimantles math´ematiques, Messiaen nous fait penser `a L´eonard de Vinci, qui, `a un
36. Samuel 1999, p. 72.37. Samuel 1999, p. 232. moment de sa vie a d´elaiss´e la peinture pour approfondir ses connaissancesen math´ematiques. Gabriel S´eailles, son biographe connu, dans son livre
L´eonard de Vinci, l’artiste et le savant : 1452-1519 : essai de biographiepsychologique , cite une lettre du R´ev´erend Petrus de Nuvolaria `a la Duchessede Milan Isabelle d’Est´e, une figure connue de la Renaissance italienne, danslaquelle il ´ecrit, `a propos de l’artiste : « Ses ´etudes math´ematiques l’ont `a cepoint d´egoˆut´e de la peinture, qu’il supporte `a peine de prendre une brosse. » S´eailles cite aussi Sabba da Castiglione, un auteur humaniste contemporainde Leonardo, qui ´ecrit `a propos de ce dernier : « Quand il devait se consacrer`a la peinture, o`u sans aucun doute il eˆut ´et´e un nouvel Apelles, il se donnatout entier `a la g´eom´etrie, `a l’architecture, `a l’anatomie » .Le Trait´e de Rythme, de couleur et d’ornithologie de Messiaen nous faitpenser aux ´ecrits d’Aristote par leur leurs classifications exhaustives et lesens inou¨ı du d´etail, avec leur analyse fine de la perception humaine et lesr´eflexions qu’ils contiennent sur le temps, la dur´ee, la nature, l’´eternit´e, surla diff´erence entre ce qui est immuable et indivisible et ce qui est changeantet ce qui est p´eriodique « par alternances du mˆeme et de l’autre » . Cetteproximit´e avec Aristote est encore un trait commun `a Messiaen et Thom.Ce dernier fut en effet, durant les dix ou quinze derni`eres ann´ees de sacarri`ere, le grand d´efenseur des id´ees du Stagirite .`A propos de l’aspect cosmique de la pens´ee de Messiaen, en relation avecles math´ematiques auxquelles il attachait tant d’importance, on peut aussiciter le passage bien connu de l’ « Essayeur » de Galil´ee, dans lequel ce dernierconsid`ere que le « livre de l’univers » est ´ecrit en termes math´ematiques : « La philosophie est ´ecrite dans cet immense livre qui continuellement resteouvert devant les yeux (ce livre qui est l’Univers), mais on ne peut le com-prendre si, d’abord, on ne s’exerce pas `a en connaˆıtre la langue et les carac-t`eres dans lesquels il est ´ecrit. II est ´ecrit dans une langue math´ematique,et les caract`eres en sont les triangles, les cercles, et d’autres figures g´eom´e-triques, sans lesquelles il est impossible humainement d’en saisir le moindremot ; sans ces moyens, on risque de s’´egarer dans un labyrinthe obscur » .L’influence de Messiaen sur l’utilisation des math´ematiques en musiquefur tr`es grande. Pendant sa longue carri`ere de p´edagogue, il eut des ´el`eves quiqui, chacun `a sa mani`ere, utilisa les math´ematiques dans ses compositions(on pense `a Stockhausen, Boulez, Xenakis, etc.).On peut citer ici Messiaen, rencontrant le jeune Xenakis, qui lui expliquequ’il voudrait suivre ses cours mais qu’il n’avait pas le bagage musical clas-sique : « [...] c’´etait un homme tellement hors du commun ! Je lui ai dit :‘Non. Vous avez d´ej`a trente ans, vous avez la chance d’ˆetre Grec, d’avoir faitdes math´ematiques, d’avoir fait de l’architecture. Profitez de ces choses-l`a,et faites-les dans votre musique’. Je crois finalement que c’est ce qu’il a fait » .Il est juste de conclure cet article en se posant la question de savoir ce queMessiaen consid´erait comme le plus important dans sa musique. La question
38. S´eailles 1892.39. Voir sur le sujet l’expos´e dans Papadopoulos 2019A.40. trad. Chauvir´e 1980, p. 141.41. Cit´e dans Matossian 1981, p. 58.
ESSIAEN ET LES MATH´EMATIQUES 17 lui fut pos´ee par Claude Samuel, dans son entretien r´ealis´e en 1967 c’est-`a-dire en plein milieu de sa carri`ere de compositeur : « Quelles ‘expressions’voulez-vous donc d´efendre en ´ecrivant de la musique ? Quelles impressionsvoulez-vous communiquer `a vos ´editeurs ? » Messiaen r´epond : « La pre-mi`ere id´ee que j’ai voulu exprimer, celle qui est la plus importante parcequ’elle est plac´ee au-dessus de tout, c’est l’existence des v´erit´es de la foicatholique. J’ai la chance d’ˆetre catholique ; je suis n´e croyant et il se trouveque les textes sacr´es m’ont frapp´e d`es mon enfance. Un certain nombre demes œuvres sont donc destin´ees `a mettre en lumi`ere les v´erit´es th´eologiquesde la foi catholique.C’est l`a le premier aspect de mon œuvre, le plus noble,sans doute le plus utile, le plus valable, le seul peut-ˆetre que je ne regretteraipas `a l’heure de ma mort. Mais je suis un ˆetre humain, comme tous les ˆetreshumains je suis sensible `a l’amour humain que j’ai voulu exprimer dans troisde mes œuvres par l’interm´ediaire du plus grand mythe de l’amour humain,Tristan et Iseult. Enfin, j’admire profond´ement la nature. Je pense que lanature nous surpasse infiniment et je lui ai toujours demand´e des le¸cons ;par goˆut, j’ai aim´e les oiseaux, j’ai donc sp´ecialement interrog´e les chantsdes oiseaux : j’ai fait de l’ornithologie. Il y a dans ma musique cette juxta-position de la foi catholique, du mythe de Tristan et Yseult et l’utilisationexcessivement pouss´ee des chants d’oiseaux » . La musique de Messiaenest pleine de r´ef´erences th´eologiques, mais le cˆot´e religieux et m´editatif deMessiaen sont probablement trop bien connus pour que cela vaille la peined’y insister ici. R´ef´erences bibliographiques
Chauvir´e 1980Chauvir´e, Christiane, L’Essayeur de Galil´ee, Coll. Annales litt´eraires del’Universit´e de Besan¸con, no. 234, Paris, Les Belles Lettres, 1980.Ide 1999Ide, Pascal, Olivier Messiaen, un musicien ´ebloui par l’infinit´e de Dieu, Nou-velle Revue Th´eologique, 121 (juillet-septembre 1999) n ◦
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L´eonard de Vinci, l’artiste et le savant : 1452-1519 : essaide biographie psychologique , Perrin, Paris, 1892.
Thom
Esquisse d’une s´emiophysique : Physique aristot´elicienne etth´eorie des catastrophes , Paris, InterEditions, 1988.