André Giordan

Comment motiver le patient à changer

Serge Halimi Pôle DigiDUNE – Clinique d’endocrinologie-diabète-nutrition, CHU, Grenoble. L’ éducation thérapeutique (ETP) est à la mode. Tant mieux ! Sa reconnaissance est admise, les contours de l’indispensable formation des équipes en train d’être précisés, son financement devrait suivre. Mais au-delà de son efficacité démontrée dans quelques études, nous qui avons en charge des patients diabétiques ou des patients obèses, nous n’ignorons pas combien son succès repose sur la capacité au changement, même modeste des patients. Si difficile à obtenir. Combien d’entre-eux reconnaissent en effet « Je sais, mais je ne fais pas ! ». Pourquoi estil si difficile (pour eux seuls ?) de changer un tant soit peu. Nos patients sont-ils si peu motivés ? Pourquoi avons-nous tant de mal à les convaincre de bouger, de mieux manger et de suivre plus régulièrement leur traitement ? L’ouvrage d’Alain Golay, Grégoire Lagger et André Giordan est là pour tenter d’y répondre et leur contribution est importante. Ce livre doit figurer dans votre bibliothèque, à condition de le lire évidemment. En effet, il y est question d’un sujet clé : Comment motiver le patient à changer ? Il est le fruit des recherches de ce groupe genevois depuis deux décennies. Selon les auteurs cette éducation dite thérapeutique doit passer par cinq dimensions : d’abord l’indispensable apprentissage de connaissances (dimension cognitive), puis la prise en compte de la dimension émotionnelle (ou intentionnelle) pouvant aider à l’acceptation progressive de l’état de maladie, ensuite celle qui peut aider à saisir la façon de raisonner de chaque patient à tenter d’entrer dans son mode de « penser » (dimension infracognitive), et encore celle qui vise à aider le patient à se tourner vers ce qui constitue son comportement habituel afin de l’analyser, le décrypter (dimension métacognitive) et enfin la dimension qui est de l’ordre du ressenti, des sensations. Celles qui accompagnent, par exemple, ses comportements vis-à-vis de l’alimentation, de l’activité physique (dimension perceptive). C’est sur ces bases revisitées, formalisées, que les auteurs proposent ensuite une autre façon de bâtir les entretiens motivationnels, passer du dire au faire, faire bouger les lignes des croyances de santé, processus, démarche de déconstruction-reconstruction. L’ouvrage dans sa troisième partie propose des situations cliniques sous forme d’ateliers de pratique basés sur ces cinq dimensions. Disons-le tout de suite cet ouvrage est à lire tôt (mais pas trop) dans sa formation à l’ETP afin d’en saisir la complexité, l’exigence, la rigueur et aussi son côté le plus passionnant. À lire aussi, ensuite une fois immergé dans sa pratique, tant y sont abordées des questions essentielles, parfois un peu ardues, toujours essentielles, qui approchent de plus près les véritables enjeux de l’ETP et de la motivation. Une fois explicitées ce que sont pour les auteurs les cinq dimensions de l’ETP, des questions, parmi bien d’autres sont discutées : comment apprendre avec et contre ses conceptions, les conflits cognitifs, la notion d’obstacle à l’apprentissage. Les résistances au changement qui constituent en effet un facteur majeur et sont trop souvent négligées font l’objet d’un chapitre passionnant. Bref, tout cet ouvrage mérite d’être lu et d’être travaillé, seul et en équipe. Les exemples fournis dans les ateliers constituent une excellente base de réflexion et de mise en pratique extrapolable à bien des situations rencontrées dans nos pratiques d’ETP, de groupe comme individuelle. À lire et relire certainement.

Les modèles pédagogiques de l’Éducation Thérapeutique du Patient : vers une éducation thérapeutique allostérique

Resume L’education therapeutique du patient – ou ETP – est encore tres souvent affaire d’habitude ou d’empirisme. L’acquisition de savoirs se trouve envisagee comme une retombee automatique d’un enseignement. Des que l’on evalue les pratiques en place, on peut reperer une serie de modeles plus ou moins implicites qui sous-tendent a la fois les discours et les activites. Apres 30 ans d’experiences, il importe de faire evoluer les pratiques pedagogiques.

Une éducation thérapeutique en quatre dimensions pour diminuer la résistance au changement des patients obèses

Au cours de ces dernières années, l’éducation thérapeutique des patients a notablement évolué, en passant notamment de l’apprentissage de connaissances, puis de compétences à des changements de comportement [1-5]. Nous savons tous que pour changer un comportement à long terme, il ne suffit pas de savoir ; il s’agit de mettre en pratique [6-8]. Le suivi de patients obèses nous a particulièrement aidé à faire évoluer notre approche, destinée tout d’abord aux patients diabétiques [9, 10]. L’écoute, l’intentionnalité et les besoins d’un patient obèse, son état émotionnel, ses croyances, son estime de soi ou encore la place de son vécu difficile dans le maintien de sa qualité de vie sont cruciaux et doivent être abordés en tant que tels dans l’éducation thérapeutique [11]. Toutefois, toutes ces dimensions sont difficiles à aborder simultanément et surtout à mettre en pratique en clinique pour motiver le patient. Pour affiner notre démarche thérapeutique avec des patients obèses, nous avons travaillé avec le modèle allostérique de Giordan qui suggère de travailler quatre dimensions simultanément pour l’apprentissage [12-14]. Ce modèle prend ainsi en compte la personne obèse avec ses connaissances, ses conceptions (dimension cognitive), son vécu émotionnel (dimension émotionnelle), ses raisonnements intimes, ses distorsions cognitives (dimension infracognitive) et son auto-perception, son estime de soi, son image de soi (dimension métacognitive) (figure 1). Ces quatre dimensions sont à aborder de manière systémique [15] (figure 2).