Jean-Pierre Cavaillé

À toutes voiles vers la vérité. Une autre histoire de la philosophie au temps des Lumières by Stéphane Van Damme (review)

balancement permet de mieux saisir certains événements, comme l’affaire des arènes de Lutèce, marquée par une hésitation des instances nationales à intervenir en dépit d’une importante campagne en faveur de leur conservation. L’examen des modalités de la justification historique, qui met en œuvre un régime de la preuve fondé sur la matérialité, figure en bonne place dans la démonstration générale. Dans le sillage des antiquaires, une place croissante est accordée au vestige matériel au détriment de la philologie textuelle, tandis que l’image s’impose comme mode de production et de validation des connaissances. Reproduits sous de multiples formes, rassemblés dans des collections et bientôt dans des musées, les objets sont mis au centre du récit historique urbain. L’utilisation de maquettes et de modèles réduits illustre bien la pédagogie par l’objet dont l’auteur se fait l’écho. Si les objets rendent visible le passé urbain, son inscription historique procède dans le même temps d’« une attention nouvelle portée à l’écrit sous toutes ses formes » (p. 109). C’est le sens de ces « métropoles de papier », dont la grandeur est façonnée et entretenue par le biais de multiples supports : histoires de villes, guides, atlas et topographies historiques, mémoires, dessins, plans, gravures, photographies et cartes postales. De plus, des archives urbaines se constituent. S. Van Damme, qui décrit leur formation à Paris, montre que les archives sont à l’arrièreplan de l’activité archéologique. À l’image du travail de Théodore Vacquer, elles instaurent un processus de bureaucratisation et de surveillance des fouilles. En retraçant les logiques qui sous-tendent la production et la publication de ces documents, l’auteur aborde la question de l’appropriation ou plutôt des appropriations du passé urbain, tout en mesurant l’investissement des élites savantes et des autorités municipales. Ces dernières cherchent par exemple à contrôler la production historiographique et créent des services et des institutions spécialisés, tels que la bibliothèque historique et le musée de ville. Il a fallu en outre donner du sens à l’ensemble de ces fragments, les organiser en un tout cohérent, à l’image des objets du musée de Cluny et du musée Carnavalet, peu à peu ordonnés 7 7 9 en un récit pédagogique. Cet exemple illustre le paradigme évolutionniste qui, à partir du début du XXe siècle, met en scène la quête des origines et donne à voir une évolution linéaire de l’histoire métropolitaine. S. Van Damme montre que celle-ci relève bien d’un phénomène de production de valeur. L’ouvrage se nourrit d’une bibliographie variée, abordant divers champs des sciences sociales. Il fourmille d’idées et d’exemples intéressants, même si l’organisation thématique du propos tend à écraser les évolutions générales. Cherchant à dépasser toute approche disciplinaire, l’auteur offre une vision surplombante, très stimulante pour le lecteur.